« Le bois dont l’homme est fait est si noueux qu’on ne peut y tailler des poutres bien
droites », disait Emmanuel Kant. Vos sculptures sont taillées dans ce bois brut qui
présente des traces du travail sur la matière, qui laisse deviner le geste de l'artiste avec le
souci de préserver l'identité, la singularité de la pièce de bois, ce qui rend son aspérité, sa
matière, ses imperfections visibles et semblables aux nuances de la nature humaine. Sur
ces socles où on élève traditionnellement la figure humaine au rang de héros, vous placez
des hommes ordinaires, des figures anonymes qui, les bras ballants, le regard dans le
vide, s'éloignent de l'allégorie pour mieux incarner le réel.
Après vous être longtemps interrogé sur l'art de rendre la figuration dans l'art du XX°
siècle, vous avez voulu vous emparer des hommes dans toute la banalité et la complexité
de leur condition humaine pour annoncer un véritable renouveau de la sculpture figurative
en Europe. Vous dérobez donc la sculpture à l'abstraction, à ses occurrences
mythologiques ou allégoriques, pour la rendre aux hommes et aux femmes réels. On vient
de le voir avec Jean Moulin : vous avez rendu toute son humanité au personnage
héroïque.
Vos sujets ne présentent pas de signes distinctifs ; simplement vêtus, ils ne sont investis
d'aucune charge symbolique, laissant ainsi au spectateur une liberté totale
d'interprétation. Vous aimez à dire que vos sculptures « recèlent un secret en elles » qu'il
n'est pas de votre ressort de le dévoiler, mais que c'est « à l'observateur de le découvrir ».
A rebours des courants plus familiers de l'art moderne et contemporain, vous vous
inscrivez dans les traditions sculpturales antiques et médiévales tout en empruntant à
l'expressionnisme la taille directe et les couleurs vives. Votre oeuvre singulière qui s'inspire
de l'histoire de la statuaire est cependant résolument tournée vers le monde d'aujourd'hui
afin, dites-vous : « de sortir du cercle fermé de l'art et d'ouvrir les oeuvres à une réflexion
sur le monde ».

Pour mieux « accueillir le monde », vous avez investi l'espace public des grandes
métropoles, New York, Berlin, Strasbourg, Paris, Hambourg, Londres et aujourd'hui
Metz.
Pleines d’humour, vos installations interrogent, provoquent l’étonnement ; celle que nous
venons d’inaugurer provoque la réflexion, la mémoire. A Londres, L'homme sur sa bouée
au milieu de la Tamise, a ainsi poussé un passant, qui croyait que quelqu'un était
réellement dans une mauvaise posture, à appeler les secours. On retrouve la même
ironie avec vos 57 pingouins sur une banquise à la dérive ou avec l’Homme-girafe que
vous avez créé pour Arte et pour la ville de Strasbourg. Contrastant avec la géométrie
abstraite et imposante du quartier administratif de la ville, votre création attire l'oeil, elle
provoque le regard, elle surprend par son originalité.
Et cette notoriété internationale ne vous a pas fait tourner la tête cher Stephan. Vous êtes
sollicité pour inscrire l'art dans l'espace public un peu partout à travers le monde mais
c'est ici, en Moselle, à Meisenthal que vous avez choisi de travailler et nous en sommes
très fiers parce que vous faites partie des très grands sculpteurs allemands. C'est à la
Halle Verrière, donc à Meisenthal où vous avez installé votre atelier, que vous avez
récemment exposé vos oeuvres.
Cher Stephan Balkenhol, vous êtes ici chez vous. A Metz, en Moselle, vous êtes le
symbole de l’amitié entre la France et l'Allemagne. C'est un plaisir pour moi et pour tous
ceux qui sont avec nous ce soir de distinguer ici à Metz, un artiste de renommée
internationale qui a montré son engagement, ici, dans cette gare, avec cette oeuvre en
hommage à Jean Moulin. Artiste engagé, vous représentez aussi le renouvellement des
esthétiques en Europe et l’impérieuse nécessité d’ouvrir l’art sur le monde et le monde à
l'art.
C'est pourquoi la République française, la République des arts et des lettres puisque
l'Ordre des arts et des lettres a été créé par André Malraux, dont nous avons entendu le
discours d'accueil des cendres de Jean Moulin au Panthéon en 1964 et qui maintenant
repose dans ce même Panthéon, aux côtés de Jean Moulin et de beaucoup d'autres, qui
a créé cette distinction pour rendre hommage aux artistes, aux créateurs de tous les pays
qui trouvent en France une terre pour accueillir, pour célébrer leur art.
A travers vous, la République française peut donc célébrer tout ce qui contribue à la
vitalité de la création en Europe et au rayonnement de l'Europe comme une terre de
culture. Parce que si l'Europe aujourd'hui est en crise, en panne de projet ou en panne
d'amour de la part de ses concitoyens, c’est peut-être parce que l'Europe oublie trop
souvent la culture, l'art et les artistes.

On oublie trop souvent que c'est à travers la culture, à travers les échanges des artistes
et des créations que l'on peut rebâtir un véritable idéal européen. Cher Stephan, vous
êtes donc l'un des symboles de cette Europe de la culture et c'est un grand plaisir pour
moi de vous remettre cette distinction.

Cher Stephan Balkhenhol, au nom de la République française, nous vous remettons les
insignes de Chevalier de l'ordre des arts et des lettres.