Monsieur le Président du Syndicat de la librairie française, cher Matthieu de Montchalin,

Mesdames et Messieurs les élus,

Mesdames et Messieurs,

 

Le parfum familier de l’encre et l’odeur du papier : c’est votre signature. En franchissant le seuil d’une librairie, il m’arrive parfois de ressentir cette « puissante joie » « ce plaisir délicieux, sans la notion de sa cause » comme l’aurait dit Proust, qui font de ces lieux, ces lieux qui sont les vôtres, des endroits si précieux.

Que l’on s’y sente chez soi, ou au contraire intimidé, la boutique du libraire n’est pas une boutique comme une autre : c’est qu’on y vient « glaner, comme le dit si bien Pierre Péju, des indices et des signes, vivant sur les couvertures claires ». Parmi la profusion des livres, vous ouvrez le chemin des lecteurs ; et c’est ainsi que la culture vit mieux, parce qu’elle a besoin de passeurs.

Un libraire sera toujours plus qu’un vendeur de livres. Une librairie bien plus qu’un commerce. C’est la boutique où l’on se réfugie pour découvrir le monde, et pour tâcher de le comprendre. Voilà sans doute ce qui explique qu’après les événements de janvier, davantage de Français que d’ordinaire sont allés dans vos librairies : elles font partie des quelques lieux qui protègent et nous ouvrent à la fois.

Voilà ce qui vous rend si nécessaires et irremplaçables. Voilà ce qui rend si précieuses ces Rencontres nationales, où vous débattez de l’avenir de votre profession et du devenir de votre métier.

C’est pourquoi je me réjouis d’être parmi vous à Lille ce matin, dans cette ville qui fait tant pour la culture. 

Il y a deux ans, à Bordeaux, vous n’aviez pas caché votre inquiétude pour l’avenir des librairies indépendantes, frappées par la crise économique et affectées par de nouvelles formes de concurrence. Mais aujourd’hui, la situation fait mentir ceux qui imaginaient un déclin irréversible : pour la première fois depuis 2008, sur le marché du livre imprimé neuf, la part de marché des libraires indépendants a augmenté l’an passé.

Cette tendance, comme toute tendance, est certes fragile, mais elle est positive. Est-elle le résultat de l’action menée par le gouvernement en faveur des libraires depuis 2013 ? Nous pouvons désormais en faire un premier bilan.

Faire en sorte que la concurrence soit équilibrée, redonner au magasin sa juste place : c’était la première vocation du plan librairie. En encadrant les conditions de la vente à distance des livres, la loi ne fut sans doute pas étrangère à la stabilisation de la vente par internet l’année, dernière après plusieurs années de progression continue.

En ajoutant à ces nouvelles règles la possibilité d’une médiation, nous avons aussi facilité l’émergence de solutions innovantes. Laurence Engel, que j’ai nommée médiatrice du livre en septembre dernier, a obtenu des résultats prometteurs pour le service d’abonnement de livres numériques. Elle examine désormais un sujet qui, je le sais, vous tient à cœur : celui des places de marché sur les sites de vente en ligne. J’espère qu’elle connaîtra le même succès.

L’autre volet du plan librairie était financier : 11 millions d’euros ont été mobilisés par le ministère de la culture grâce au Centre National du livre pour aider les libraires à faire face à une conjoncture défavorable. Les éditeurs s’étaient également engagés à participer substantiellement à cet effort.

Grace à cet appui, 29 opérations de reprise ont pu être financés et pas moins de 41 des 57 librairies du réseau Chapitre sauvées. 650 emplois ont ainsi été sauvegardés. Comment ne pas s’en réjouir ?

Au-delà de l’aide à la transmission, le plan a mis en place un fonds d’avance de trésorerie pour les librairies qui rencontrent des difficultés d’accès au financement de court terme. Il a donné quelques résultats, mais ce que les libraires demandent avant tout, c’est une aide de plus long terme, pour restructurer leur fonds de roulement et se moderniser. 

C’est pourquoi j’ai demandé que le fonds soit repensé pour donner aux libraires l’aide qu’ils attendent. Désormais, il pourra soutenir les libraires dans la durée, jusqu’à cinq ans, afin couvrir leurs besoins de restructuration de fonds de roulement. Ce que je veux, c’est permettre aux libraires de préparer l’avenir, et non seulement de répondre à l’urgence du présent. Nous accompagnerons ceux qui y auront recours, pour identifier les difficultés structurelles auxquelles ils font face et trouver les solutions ad hoc. 

L’avenir, votre avenir : c’est la première préoccupation de mon Ministère. Et cet avenir est ouvert. Car aussi sophistiqué soit-il, un algorithme de recherche ne remplacera jamais un libraire. Et c’est heureux ! Il faut sans aucun doute s’adapter, évoluer, pour répondre aux demandes nouvelles des lecteurs, et aux moyens nouveaux qui s’offrent au secteur. Mais la librairie, j’en suis convaincue, a un avenir florissant devant elle.

Plus que jamais, face à la profusion incontrôlée de l’offre, votre rôle est essentiel. Car la profusion n’est pas la diversité.

C’est dans une librairie qu’on peut exercer sa curiosité, feuilleter, découvrir de nouveaux auteurs, pas devant un écran.

C’est d’une librairie qu’on sort avec un livre qu’on n’avait aucunement l’intention d’acheter, et non d’un site de vente en ligne.

C’est sur les conseils d’un libraire, qui met en lumière des œuvres et met en regards les idées, que l’on se construit comme lecteur.

C’est en valorisant les libraires qu’on renforce la librairie, face aux autres vendeurs de livres.

Vous le savez mieux que personne : on ne s'improvise pas libraire. Vous exercez un métier aux dimensions multiples, et chacune d'entre elles suppose de cultiver des compétences parfois très différentes les unes des autres. Dans un monde qui change de plus en plus vite, la profession change aussi. Pour continuer d'investir dans la qualité, la gestion de votre entreprise doit bien sûr être de plus en plus rigoureuse. La maîtrise du numérique exige des compétences nouvelles. L’accueil prend quant à lui une importance plus grande.

Des débats très riches traversent aujourd’hui la profession autour de la formation et de l'accompagnement : un atelier y était consacré hier après-midi. Or, vous le savez sans doute, le paysage de la formation en France est aussi en évolution. Saisissons l’occasion de construire un projet clair sur ce que doit être la formation pour la librairie, aujourd'hui et demain.

C'est pourquoi je souhaite que, dès l'automne, mes services réunissent l'ensemble des parties intéressées pour tenir des Assises sur le métier de libraire. Elles doivent être l’occasion de définir la spécificité du (ou des) métiers de libraire. Deux chantiers majeurs seront à l’ordre de jour : la redéfinition et la consolidation de la formation initiale, et l’élaboration d’une stratégie partagée pour la formation continue.

L’avenir, c’est également le numérique. Une opportunité, et également une nécessité, qui correspond à une évolution de fond des habitudes des Français. La vente en ligne, l’impression à la demande, la maîtrise des réseaux sociaux sont autant de pistes qui doivent être explorées pour que les librairies soient des acteurs toujours plus vivaces. J’ajoute que les libraires ne peuvent rester à l’écart de la commercialisation des livres numériques. Elle est encore minoritaire, mais son dynamisme laisse penser que ce ne sera pas toujours le cas.

Dans ce combat, la librairie indépendante a des atouts : dans l’économie physique, c’est l’étendue et la diversité de son réseau sur le territoire.

Pour exister dans l’univers numérique, face aux géants de l’Internet, il faut privilégier les solutions collectives. Sur ce sujet, je pense que les intérêts de l’ensemble des acteurs français se rejoignent, quelle que soit leur taille. Nous avons les moyens de créer un champion européen de la distribution du livre numérique, qui pourra rivaliser avec les grands groupes internationaux, pour promouvoir les principes auxquels nous sommes attachés.

J’ai entendu certains dire ces dernières semaines que, pour rivaliser avec les sites de vente en ligne, pour lutter contre les géants du numérique, il faudrait ouvrir le dimanche. C’est un faux débat.  Courir derrière les horaires d’ouverture des sites internet est voué à l’échec. Je me réjouis donc que l’amendement adopté en ce sens au Sénat ait été supprimé en deuxième lecture à l’Assemblée nationale.

La solution est bien plutôt de développer une offre numérique, et de s’appuyer sur ce que les sites en lignes n’auront jamais : l’expérience de la librairie, des rayons de livres, du contact avec un libraire.

Je ne suis pas opposée par principe à cette ouverture dans tous les cas. Certaines librairies, c’est le cas de la mienne, ouvrent d’ores et déjà le dimanche.  Mais il faut que le contexte local s’y prête, qu’il y ait du passage et de l’activité. C’est le cas par exemple autour des marchés. Quoi qu’il en soit, toute réflexion sur les horaires d’ouverture doit se faire dans le respect de deux principes :

-     Elle ne peut se faire au détriment des commerces spécialisés. L’amendement aurait ouvert la possibilité à des grandes chaînes d’ouvrir le dimanche pour vendre de l’électroménager ou de la microinformatique.  

-     Elle doit se faire dans la concertation : la négociation avec les représentants des salariés sur les modalités de mise en œuvre doit être un préalable.

Au fond, l’enjeu prioritaire pour notre société n’est pas celui de l’ouverture des commerces : c’est celui de l’accès à la culture le dimanche. Il s’agit moins d’ouvrir toutes les librairies que d’ouvrir les bibliothèques, qui, à la différence des cinémas, des théâtres ou des musées, sont pour la plupart fermées. Faire du dimanche un jour de culture, c’est d’abord une question de service public.

Il nous faut y travailler avec les collectivités qui ont la responsabilité des bibliothèques et font face aujourd’hui à des défis importants.

Ouvrir les bibliothèques le dimanche, c’est offrir à tous l’accès au livre et à la lecture. Et chemin faisant, c’est donner à chacun l’envie et la possibilité de franchir, à leur tour, plus souvent qu’à leur habitude, le seuil d’une librairie.

Car plus on est familier des livres, et plus on est enclin à s’en procurer. Oui, le livre est addictif ! Il est addictif, car il nous fait « penser et sentir, en adoptant le point de vue des autres » comme l’écrit si justement Todorov. Il fait œuvre de « révélation du monde », qui « peut aussi transformer chacun de nous de l'intérieur. » Et sur ce chemin révélé, où le lecteur n’avance jamais seul, le libraire est un éclaireur précieux.

Je vous remercie.